Menu
Le Portail de Thiès sur le Web
L'Actualité au Sénégal

«Maame», nouvel album de Cheikh Lô ou l’art d’avancer en musique avec un rétroviseur


Rédigé le Vendredi 3 Octobre 2025 à 21:35 | Lu 44 fois Rédigé par Lat Soukabé Fall


Avec une exigence en termes de production et de rendu sonore qui ne faiblit pas au fil du temps et participe de son succès international, le chanteur et multiinstrumentiste sénégalais Cheikh Lô reste un artiste rare. Son nouvel album Maame accompagne ses cinquante ans de musique.


Sur le quai de la gare ferroviaire de Bobo-Dioulasso, un voyageur en partance pour Abidjan se fait voler sa valise. Il se rend au commissariat de police pour y exposer sa situation à Baba Moussa, afin que le célèbre lieutenant mène l’enquête et retrouve le bagage dérobé. C’est avec cette histoire, à la gloire d’un ancien tirailleur de la Seconde Guerre mondiale, très apprécié de la population locale pour son action contre la délinquance, que Cheikh Lô ouvre son nouvel album sur « Baba Moussa BP 120 ».

Évoquer ce personnage qu’il a croisé à de nombreuses reprises dans son enfance en Haute-Volta (ancien nom du Burkina Faso, NDLR), fait remonter des souvenirs qui l’amusent, comme celui de la voiture de l’officier surnommée « sans payer » (« parce que s’il t’emmène, tu ne payes pas ! »). En 2015, quand il avait été invité au festival Jazz à Ouaga, dans la capitale burkinabè, le Sénégalais avait déjà interprété cette chanson enregistrée à l’origine par le Volta Jazz au sein duquel il a débuté avant que la star congolaise Tshala Muana en livre sa version en 1982.

Apprendre le rythme à l’école du rail
Le natif de Bobo-Dioulasso – ville à laquelle il a consacré un morceau sur l’album Bambay Gueej – reste à jamais imprégné des années qu’il a passées là-bas. Adolescent, il y revenait à l’occasion des grandes vacances pour retrouver ses parents restés sur place alors que lui avait été envoyé au Sénégal pour suivre ses études.



Le trajet était long, en distance comme en temps, mais formateur pour le batteur en herbe autodidacte. Du moins sur la portion entre Dakar et Bamako à bord du train express, qui mettait tout de même plus de 24 heures pour couvrir 1 200 kilomètres ! « Je tapais sur mes genoux selon le tempo des wagons sur les rails », explique-t-il, ajoutant qu’il n’entendait « plus rien » une fois monté dans le bus de la Transafricaine pour terminer son périple par la route.

Grâce au tourne-disque que possédait son grand frère, objet qu’il qualifie de « bijou » pour l’époque, Cheikh Lô s’est familiarisé avec de nombreux styles, véhiculés par des artistes congolais, guinéens (sur son album Jamm de 2010 figure une reprise de « Doni Doni » du Bembeya Jazz, rebaptisée « Il n’est jamais trop tard »), ivoiriens ou américains, à l’image de James Brown ou Clarence Carter. Sans oublier les rythmes cubains. « Toute l’Afrique de l’Ouest jouait de la salsa », précise le septuagénaire, qui célèbre actuellement ses cinquante ans de carrière sur différentes scènes.

Son nouvel album Maame, intitulé ainsi en hommage à son guide spirituel, témoigne encore aujourd’hui de son attachement à ce style afro-cubain dont l’Orchestra Baobab est l’un des plus anciens et plus illustres représentants : il a d’ailleurs demandé à deux de ses membres, le saxophoniste vétéran Thierno Koité et le guitariste béninois René Sowatche, d’apporter leur touche en studio.

L’Afrique aux Africains
Mais dans « le rétroviseur » de Cheikh Lô, expression qu’il affectionne particulièrement pour résumer ses influences devenues des composantes de son identité artistique, il y a aussi le jazz, le blues, la variété occidentale ou encore la musique traditionnelle. « Carte d’identité » est un des nouveaux exemples de cette voie singulière, avec ses arrangements de cuivres à la fois inattendus et pourtant bienvenus, interprétés par une section qui compte dans ses rangs le Congolais installé à Dakar Mildah Miambanzila.

Newsletter
Recevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Je m'abonne
Au-delà du sujet abordé dans ce morceau, le chanteur engagé aux côtés du Haut-Commissariat aux réfugiés pointe l’asymétrie des relations entre l’Europe et certains États de son continent, en particulier sur les formalités nécessaires pour entrer sur un territoire étranger. « Le respect doit être réciproque », assure-t-il, faisant écho aux revendications similaires portées avec autant que de constance que de convictions par Tiken Jah Fakoly.

Avec le reggaeman ivoirien auquel il emprunte le fameux néologisme « mangercratie », il partage d’autres réflexions. Il en fait part dans « African Development », un reggae. « L’Afrique aux Africains ! On réclame notre souveraineté. On peut collaborer avec le reste du monde, mais que ce soit gagnant-gagnant. Pas du pillage. On n’a plus besoin de paternité de qui que ce soit, qui vienne nous dicter ce qu’on doit faire. Après 400 ans de colonisation et d’esclavage, il est temps qu’on se réveille », affirme avec force et indignation le Sénégalais. Bien qu’il ait « beaucoup écouté Bob Marley », il a rarement cédé à l’appel du reggae (une des exceptions : « Bamba Mo Woor » sur Lamp Fall paru en 2005).

« J’avais mon chemin à parcourir. Il y avait une priorité : ma créativité d’abord », considère Cheikh Lô. Désormais libéré de la nécessité d’exister musicalement par lui-même au regard de son statut, il imagine reprendre, « peut-être pour les prochains albums », certains des classiques du Jamaïcain.


Lat Soukabé Fall

Nouveau commentaire :


Dans la même rubrique :
< >