
Une faute oubliée, une honte persistante
Pendant des années, Aïssatou* a tout eu pour être heureuse : un mari aimant, des enfants, une vie respectée dans sa communauté. Mais derrière son sourire, une blessure jamais refermée : une relation avant le mariage.
Un acte que la religion condamne, et qu’elle-même n’a jamais pardonné.
“Je vivais avec un nœud dans la poitrine. J’ai fait pénitence, mais ce n’était pas toujours suffisant”, confie-t-elle.
Sous le poids des remords, elle prend un jour la route vers Guédé Bousso, une localité connue pour ses rites de purification spirituelle. Là-bas, elle demande à être fouettée publiquement, non pour être humiliée, mais pour se libérer.
“Je suis soulagée. Je me sens enfin libre”, dira-t-elle, après les cent coups.
Une charia vécue au quotidien
Fondée en 1917 par Serigne Moulaye Bousso, disciple du cheikh Ahmadou Bamba, Guédé Bousso est un haut lieu du mouridisme.
Dans cette cité spirituelle, la charia – la loi islamique – ne se limite pas à la prière. Elle encadre la vie sociale, les relations entre voisins, les différends familiaux et les fautes morales.
“La charia n’est pas une loi à imposer, c’est un mode de vie exemplaire que nous avons hérité de nos ancêtres”, explique Cheikhouna Bousso, arrière-petit-fils du fondateur.
Vêtu d’une tunique blanche, il nous accueille dans un modeste salon face à la grande mosquée. Ici, le respect de la loi divine guide chaque acte de la vie. Et lorsque la faute est commise, la réparation passe parfois par le corps.
Le rituel du pardon
Chaque semaine, au cœur de la grande mosquée jaune et verte, la communauté assiste à un rituel singulier : la flagellation volontaire.
Hommes et femmes se présentent, parfois accompagnés de leurs proches, pour recevoir cent coups de fouet. Pas un de plus, pas un de moins.
“Il n’y a pas de contrainte. Ce sont des personnes qui viennent d’elles-mêmes chercher la purification”, assure Cheikhouna Bousso.
Le muezzin, chargé d’exécuter la sentence, ne frappe pas avec colère. La chicotte claque sur le dos du fautif, dans un silence religieux. À la fin, nul cri, nul applaudissement : seulement une prière. Puis chacun s’en va, en paix.
Un rituel qui divise
En octobre 2022, une vidéo virale montrait une femme fouettée publiquement à Guédé Bousso. Les images avaient provoqué une vague d’indignation, notamment d’Amnesty International, qui dénonçait une “justice parallèle”.
Pour les habitants, il s’agit pourtant d’un acte spirituel volontaire, ancré dans la tradition mouride.
“C’est un dispositif de rédemption. Un moyen pour les fautifs de retrouver la paix intérieure”, défend Cheikhouna.
La foi, entre discipline et délivrance
À Guédé Bousso, la honte publique fait partie de la réparation. Être exposé devant Dieu, devant les siens, est une humiliation qui touche l’âme et réveille la conscience.
Aïssatou, comme Malick*, un autre fidèle, affirme avoir retrouvé la paix après cette épreuve.
Mais au-delà du rituel, le cas de Guédé Bousso interroge :
Peut-on concilier foi sincère, justice spirituelle et respect des droits humains ?
Entre ferveur religieuse et devoir de loi, le Sénégal continue de chercher l’équilibre.