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L'Actualité au Sénégal

Hommage à Mohamed NDIAYE, comme si Robert nous était conté


Rédigé le Mardi 14 Octobre 2025 à 07:59 | Lu 103


Mohamed Ndiaye décédé ce 29 août repose à Fadiouth la gracieuse, auprès de ses ancêtres.

Durant 60 ans, il a écrit les plus belles plages de la lutte sénégalaise.


 

Le Sénégal et les télé spectateurs de la Diaspora avaient redécouvert le 02 janvier 2011, dans l’enceinte de Demba Diop, la classe du vétéran Mohamed Ndiaye. Naguère, sa prégnance au sommet de la lutte sénégalaise était indiscutable. Presque tous les grands noms de l’arène, de 1960 à 80, se sont un jour, inclinés devant Robert.

Respecté et gentleman des arènes, Robert qui est devenu Mohamed Ndiaye, en embrassant l’Islam en 1977, venait de se rappeler au bon souvenir des Sénégalais. Ce jour-là, il avait fait l’unanimité, en posant un acte majestueux dans l’enceinte du stade devant les plus hautes autorités du Sénégal. La spontanéité du vieux champion a été conjuguée à la discipline de Yékini, son poulain prodige. Celui-ci, complice de son mentor, a exécuté instantanément le conseil de Robert. C’était le prélude d’un nouveau sacre.

Tout le monde savait que, Yékini se soumettait, quelques secondes avant chaque combat, à «la piqûre », de « Mohamed Ndiaye Robert », comme il l’appelait affectueusement. En ce premier dimanche de l’an 2011, Mohamed Ndiaye a dû lui en administrer deux. La première injection classique, dont lui seul et son poulain détiennent le secret du contenu. La seconde injection fut improvisée, car l’adversaire du jour – Serigne Dia alias Bombardier, rechignait à se placer à la position désignée par le tirage au sort. Alors, Mohamed Ndiaye assuma. Ayant sa vision d’initié des rituels de la lutte, il aurait dit à Yekini « place-toi où tu veux, car cela n’a pas d’incidence sur l’issue du combat ! Terrasse ton adversaire, que l’on puisse rentrer à la

maison, car il se fait tard ! ». Quelques minutes auparavant, Sitor NDOUR, le brillant arbitre, n’avait pu convaincre Bombardier. De même, le promoteur et le représentant du comité national de gestion de la lutte (CNG), descendus dans l’enceinte, n’avaient réussi à raisonner les deux lutteurs, qui campaient sur leur position. Au fil des minutes, le risque d’annulation du combat grandissait. La situation pouvait dégénérer, avec des voies de faits en cascade voire des victimes, d’autant que le stade était plein à craquer. Les alentours grouillaient de monde. Le dénouement heureux de ce combat, porte à jamais, l’empreinte de Mohamed Ndiaye. Chapeau bas, champion éternel !

Tout le monde se souvient de l’issue controversée du combat, en Août 2003, de Moustapha GUEYE contre Balla BEYE II alias Baboye, dans des circonstances similaires, sous-tendues par la superstition. Au coup d’envoi de l’arbitre, Moustapha GUEYE surpris, avait été projeté par terre, après une prise par derrière, suite à son refus de se placer face à son adversaire.

Robert Diouf dans le sillage des premiers champions

Les plus vieux amateurs, sont nostalgiques des exploits de lutte des années 40. Abdourahmane Ndiaye Fallang de Diander, ou Médoune Khoullè, le pugiliste qui détient la réputation du poing droit le plus destructeur que l’arène a connu. Puis, vint la période d’invincibilité du colosse du Fouladou, Fodé Doussouba, champion en lutte simple, qui avait fait le vide parmi ses adversaires. Pour le terrasser, il aura fallu la mobilisation de tout le Cap-Vert. Trouver un lutteur capable de relever le défi. Le rappel du vétéran Demba Thiaw Diène, de Yoff, qui avait déjà rangé son ngëmb (pagne noué, en forme de short, autour de son bassin), depuis quelques années, fut décidé. L’érudit Ousmane TOURE de Malikounda, d’ascendance ouakamoise, sera consulté pour valider ce choix. Le 18 avril 1958, DEMBA Thiaw, apprêté durant plusieurs mois, réussira à terrasser Fodé. Malheureusement, Demba ne vivra que quelques mois après cette victoire.

La génération des années 50 a connu les grands champions comme Landing Diamé de Djirnda, Bara‘Bara, Bosco Sow de Mbour, Cheikh Mbaba de Mbour, l’emblématique Thérèse Ndîr mais encore Doudou Baka Sarr, l’enfant doué de Niodior. Ce dernier, premier chef de l’embryon d’écurie sérère avait réussi l’exploit de vaincre Bécaye II, de Thiaroye, un bagarreur à la frappe redoutable.

Puis rapidement, arriva la jeune génération des années 60 avec Robert, comme nouveau porte drapeau des lutteurs sérères. Ibou Senghor, Moussa Diamé, Doudou Baka Sarr, Pierre Téné Sarr, Dialy Birama Thior. Ceux-là, devaient maintenir haut, le flambeau élevé par Manga Siya Diouf alias Manga numéro I, et Landing Diamé, leurs ainées pétris de talents.

En 1961, la victoire de Robert sur Santen Gning Ier de Yoff, aux mbapatts* du samedi, à Fith Mith (actuel Gibraltar), signe son visa d’accès à la cour des grands. Le lendemain, Robert est présenté aux arènes sénégalaises, accompagné par son manager Ngor Diène et de son -déjà- inconditionnel supporter, Moussa Thiam de Sandaga. Le week end suivant, Robert y savoure sa première victoire en combat officiel, en terrassant Ass Diola, un poulain de Fodé Doussouba.

 

Puis, au fil des mois, viendront le tour de Assurance Diop et Modou Diène alias Ray Sugar, Faga II, Pape DIOP, Becaye 2, Boy Niague , les premiers d’une longue série des vaincus.

Seigneur des arènes, Robert a enduré une suspension de 3 mois, suite aux incidents du 18 septembre 1966 aux arènes de Fass. Lors du combat opposant Ousmane Falaye Baldé et Landing Diamé, le « taureau de Thiès ». Le jeune Robert Diouf, rompu aux rouages des mbapatts*, découvrait les ruses et pièges du milieu de la lutte avec frappe. Animé d’un bon sentiment et trouvant que le pugilat avait assez duré, il fit intrusion dans l’enceinte pour séparer les protagonistes. Bori Patar II, poulain de Diamé, lui fit une violente opposition, sous le regard médusé de l’arbitre Assane Gaye. Néanmoins, c’est l’attitude de Robert, qui sera jugée inappropriée et les échauffourées qui s’ensuivent lui seront imputées. Durant cette suspension, des amateurs bouderont les arènes. Selon eux, les combats manquaient d’enjeu, en son absence et de beaucoup lutteurs qui l’ont soutenu par un boycott.

En fait, le stade Demba Diop a toujours été le théâtre de succès éclatants de Robert. Il n’ y a presque jamais perdu de combat, exception faite de ce jour de 1977, où Pape Kane exploita une brèche fatale dans sa garde! Ironie, c’est en prenant sa revanche sur Pape Kane qu’il a gagné son dernier combat à Iba Mar en

Robert, fut le premier lutteur, en février 1969, à disputer un combat avec Mbaye Guèye, le Tigre de FASS. C’était là, une confirmation de son immense talent. Ce jour là, l’engagement du second corps à corps, se termina par une chute de Mbaye sur les barrières, qui, délimitaient jadis, l’enceinte. Alassane SARR, l’arbitre du jour, déclara le match nul. Mais ce verdict n’a pas convaincu Robert, qui a continué encore aujourd’hui à se « réclamer victorieux », plus de 50 ans après.

Robert a terrassé les chefs de file de ce qui allait devenir l’écurie de Fass. Robert affirme «qu’après leur combat de 1969, il a affronté Mbaye Guèye, à 3 reprises, et l’a remporté à deux reprises contre une victoire pour le tigre de Fass ».

Mame Gorgui NDIAYE, « l’enfant chéri de Dakar », s’est livré dans un entretien, avec Bécaye MBAYE, le présentateur de l’émission Bantamba (21/10/2008 sur la 2sTv) « qu’il est le premier grand lutteur, que Robert a croisé sur son chemin. » Il est défait par Robert, en 1962 aux arènes Iba Mar Diop, puis en 1963, aux arènes Youssou Diène de Fith Mith. Mame Gorgui, prendra sa revanche, en 1965, aux arènes sénégalaises et considère que c’est « le plus beau souvenir de sa carrière, d’autant que Robert était resté invaincu pendant 3 ans. »

Son empreinte dans l’arène

Son fameux jeu de jambes, relayé par les ondes radiophoniques, avec la voix des reporters, Abdoulaye Nar Samb ou Moustapha Ndiaye, pouvait transporter jusqu’à la transe ses milliers de fans. Sa maîtrise des artifices de la boxe et des enchainements de lutte gréco romaine, faisait la fierté des supporters, au premier rang desquels, son ami, Moussa Thiam, grand commerçant au marché Sandaga.

Technicien hors pair en dépit de ses mensurations modestes (Im80 pour 90 kgs), Robert était largement avantagé par sa célérité dépourvue d’empressement maladroit et sa grande capacité de concentration.

Robert a toujours eu la science du geste gracieux et décisif pour déséquilibrer son adversaire. Son flegme et surtout sa manière de dérouler sa partition rituelle d’avant combat, avec la claudication qu’il feignait dans les minutes d’échauffement étaient uniques. Combien de ses supporters, ont été subjugués par son lâcher de colombes blanches, lesquelles tournoyaient au-dessus du stade l’arène, avant de prendre la direction Sud-Est, vers son île natale ! C’était aussi mystique que pittoresque.

Robert Diouf, avec son nouveau manager Cheikh Diop, fait partie du trio de lutteurs, à avoir pour la première fois, prétendu à un cachet d’un million de francs. C’était le cas, lors de sa deuxième confrontation officielle, avec Double–Less, en 1972.

Entre-temps, le Président Léopold Sédar Senghor, en 1970, sur proposition de Lamine Diack, alors Commissaire Général aux sports, promeut la lutte, en discipline sportive.

 

Un curriculum diversifié dans les sports de combat

Mohamed Ndiaye, est parvenu au sommet de la lutte sénégalaise, grâce à la persévérance caractéristique des sportifs de haut niveau. Il faut le pousser pour le départir de sa modestie. Hésitant dans les chiffres : « j’ai livré plus de 135 combats officiels dont 10 défaites et 17 matchs nuls ». Les capacités de la mémoire du champion sont altérées par le nombre inimaginable de coups de poings, amortis par sa boîte crânienne.

Mais, bien avant de commencer à écumer les arènes de la région du Cap-Vert, comme poulain de Landing Diamé, le jeune Robert avait fait ses preuves, depuis son adolescence aux mbapatts* de Joal-Fadiouth.

Il s’est toujours refusé malgré son illettrisme, de rester sans profession. D’ailleurs, en débarquant à Dakar, au début des années 60, Robert est déterminé à apprendre la mécanique. Cet apprentissage occupera longtemps ses journées, rythmées le soir par les joutes dans les arènes Dakar. Plus tard, il réussira, par son sérieux, à devenir formateur sportif à la police nationale, au titre de délégué à la fonction d’agent, jusqu’à son admission à la retraite. Durant l’hivernage, il tenait à retourner à ses activités champêtres.

Afin de s’adapter à la lutte avec frappe, il a fréquenté assidûment les rings de Iba Mar Diop et assimilé les techniques de la boxe. Parallèlement, Robert prend aussi des cours d’arts martiaux et de self défense. C’est sous la férule d’un Noir américain, séjournant à Dakar, qu’il s’est initié, avec abnégation, à la lutte gréco-romaine en compagnie de son ami d’enfance, feu Arona Mané. Arona Mané (1944-1977), qui était le seul lutteur lettré de son époque, sera son co-équipier, en équipe nationale, aux jeux olympiques de Munich en 1972 et de Montréal en 1976. Robert est médaillé d’Afrique en 1963 et en 1972.

Ces acquis lui permettront d’épingler à son tableau de chasse, tous les ténors de son temps. Le vif et offensif Momadou Dieng alias Boy Niague, mord la poussière, le 4 septembre 1966, aux Arènes de Fass ; après que, Khar Mbaye Madiaga, célèbre cantatrice à la voix alto, eût mis de l’ambiance. Après avoir purgé ses 3 mois de suspension, Robert concède une défaite à Falaye Baldé, en avril 1967. Il prendra sa revanche l’année suivante. MBaye Dia Diop, le « félin de Diander », Saa Ndiambour, Ousmane Ngom du Walo, Malick Niang de Yoff, Pape

Diop « Boston », futur triple champion d’Afrique de lutte gréco romaine, se sont inclinés devant Robert. Il a aussi vaincu, Alioune Camara alias Boy Bambara. Leur seconde confrontation sera interrompue après une blessure faciale et une intarissable épistaxis de ce dernier.

Il y a une chose que beaucoup d’amateurs ignorent. En 1970, Robert a bel et bien terrassé un certain Momadou Sakho, un soir de mbapatt de Lansana (Usine Bene Tally). Ce jeune novice, aux bras longs et puissants, venait de battre en une soirée, Moussa Diamé, Pape Diop « Boston » et Boy Bambara. Robert, était venu en spectateur. Des témoins se souviennent avoir vu celui-ci, « se débarrasser de sa chemise jaune et emprunter un pagne à une spectatrice pour nouer son ngëmb. En quelques minutes, Momadou Sakho est terrassé devant l’assistance nombreuse. En 1971, en combat officiel, au Stade Iba Mar Diop, il confirmera sa supériorité sur Sakho, qui allait devenir le champion imbattable, connu sous le nom Double-Less. Interrogé après cette victoire, Robert prédira aux journalistes: « Quand Double-Less aura acquis de la maturité dans l’arène, il sera difficile de le battre ». Plus tard, il concédera à Double-Less, trois mémorables matchs nuls. Pourtant, la balance affichait une différence de poids de 20 kgs, au détriment de Robert. Leur dernier combat, en 1976, dura plus d’une heure, avec à certains moments des échanges digne d’une finale de boxe. Ce soir-là, Mbaye Guèye usa fort justement de sa notoriété, pour faire irruption dans cette même enceinte de Demba Diop et les séparer. De facto, le match nul, fut constaté. Le visage tuméfié de Robert, plusieurs jours après, traduisait l’âpreté de cet affrontement.

Une vocation de formateur

Robert Diouf a été membre de l’équipe nationale de luttes libre et gréco-romaine. Il a représenté le Sénégal en Afrique et aux jeux Olympiques et a rapporté au Sénégal des médailles, lors de tournois continentaux, « notamment au Maroc, en lutte gréco- romaine » se souvient-il.

Il a accompagné jusqu’au titre suprême les champions Manga II puis Yakhya Diop Yekini.

Plusieurs promotions de policiers, lui doivent beaucoup. Il leur a dispensé avec générosité des cours de self défense et de judo, à l’Ecole Nationale de Police.

 

Un comportement toujours exemplaire

Dans son village, il s’est toujours astreint une équidistance vis-à-vis des différents quartiers, y compris lors de compétitions de football.

Les amateurs reconnaissent en Mohamed Ndiaye, l’homme discret mais le sportif déterminé. En dehors des arènes, il a toujours mené une activité d’agriculteur, dans ses champs, qu’il cultive lui-même, à 69 ans. Il faut dire qu’il a des chevaux de trait. Une vieille passion chez Robert, est l’activité cynégétique : le champion chasse le gibier au fusil, dans les brousses du Sine. Bref, l’un des plus grands lutteurs que le Sénégal ait connus, est une sorte d’écologiste. Son tempérament réservé, et sa modestie ne le prédispose pas s’épancher sur les plateaux de télévision. Personne ne l’a jamais entendu faire une déclaration inconvenante dans la presse. Même lorsqu’il était au faîte de sa gloire, l’autoglorification n’a jamais été son fort et il a

presque une phobie des micros. C’est un défi qu’il a dû relever, en février 2011 pour recevoir une décoration honorifique, conférée par le groupe Gaston Production.

Robert a fait une brève apparition, dans le film Touki Bouki en 1973. Le réalisateur Djibril Diop Mambety, a ainsi immortalisé le champion ramassant les jambes d’un adversaire, avant de le soulever et de le projeter à terre, le tout par un enchainement d’anthologie. En Wolof, les puristes, diront que c’est un beau « symppï ».

Cela a été rappelé, il est le seul lutteur à n’avoir concédé de défaite à Double-Less, avoir l’avoir terrassé en 1970. Robert est le premier à lutter à Demba Diop et l’un des premiers bénéficiaires d’un cachet d’un million de francs cfa. Il a clôturé ses 19 ans de carrière au sommet, par une belle victoire sur Pape Kane, lors d’un combat revanche, en 1979, au stade Iba Mar Diop. C’était encore sous le regard admiratif du fidèle Moussa Thiam.

En octobre 2010, Mohamed Ndiaye a été cité parmi les 50 sportifs les plus talentueux du cinquantenaire par l’Association Nationale de la Presse Sportive (ANPS), et a été retenu parmi, les 7 meilleurs lutteurs.

Son discernement, qui n’est plus à démontrer lui a encore, lui aura encore été utile ce fameux 02 janvier 2011.

Chapeau bas, à ce gentleman de notre sport national qui mérite d’être cité en exemple à tous les sportifs. La mémoire Mohamed Ndiaye Robert continuera à faire la fierté de ses proches et des amateurs.

Puisse Allah l’accueillir au paradis dans sa Miséricorde éternelle.

 

Docteur Alioune DIOH liudioh@hotmail.co




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