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Sénégal : des poissons locaux transformés en farine pour nourrir les marchés européens


Rédigé le Samedi 31 Mai 2025 à 18:20 | Lu 318 fois Rédigé par


Une enquête révèle que des poissons essentiels à l’alimentation sénégalaise sont détournés pour produire de la farine de poisson exportée en Europe, aggravant l’insécurité alimentaire locale.


 

Une enquête conjointe menée par The Guardian et la plateforme environnementale DeSmog met en lumière une chaîne d’approvisionnement internationale qui compromet la souveraineté alimentaire du Sénégal. Le rapport révèle que plusieurs grandes enseignes britanniques — dont Waitrose, Co-op, Lidl, Aldi et Asda — commercialisent du bar et de la daurade d’élevage nourris à base de farine de poisson issue des ressources halieutiques sénégalaises.

Ces poissons, pourtant cruciaux pour la consommation locale, sont transformés dans des usines installées le long des côtes sénégalaises, avant d’être exportés. Le détournement de ces espèces vers des circuits industriels alimente la surpêche, réduit les prises de la pêche artisanale, et provoque une hausse significative des prix sur les marchés sénégalais.


🐟 Ressources locales sacrifiées pour l’export

Entre 2020 et 2024, la société turque Kılıç Deniz et sa filiale Agromey ont importé plus de 5 400 tonnes de farine et d’huile de poisson produites au Sénégal. Ces matières premières servent à nourrir des poissons d’élevage destinés à l’exportation vers l’Europe. Parmi les espèces concernées figure notamment la sardinelle, aliment de base pour des millions de Sénégalais.

Ce détournement a entraîné un effondrement des débarquements, passés de plus de 100 000 tonnes il y a dix ans à seulement 10 000 tonnes par an. En parallèle, le prix de 500 grammes de keccax (sardinelle séchée) a bondi de 100 à 1 500 francs CFA, rendant ce produit inaccessible pour de nombreuses familles.


⚠️ Crise alimentaire et paradoxes d’exportation

L’année 2023 a marqué un tournant : les autorités ont officiellement reconnu une situation de crise alimentaire dans plusieurs régions du pays. Ironie du sort, cette même année a vu les exportations de farine de poisson atteindre un niveau record, illustrant les tensions entre les besoins locaux et les logiques de marché globalisées.


🔍 Des labels mis en cause

Les poissons d’élevage turcs sont vendus en Europe sous des étiquettes garantissant un « approvisionnement responsable », comme celles de l’Aquaculture Stewardship Council (ASC). Toutefois, les pêcheries sénégalaises à l’origine de la matière première ne répondent pas aux critères de durabilité. En mai 2024, l’Union européenne a d’ailleurs adressé un carton jaune au Sénégal pour son manque de régulation face à la pêche illégale.

Pour le Dr Aliou Ba, responsable de la campagne Océans chez Greenpeace Afrique, cette situation incarne un « colonialisme écologique moderne », où les ressources locales sont sacrifiées au profit de marchés occidentaux.


✊ Appels à l’action

Face à ces révélations, la société civile s’indigne. Des ONG internationales, telles que Foodrise, réclament un moratoire sur les fermes aquacoles industrielles et l’interdiction des importations de farine de poisson provenant de zones exposées à l’insécurité alimentaire.

Certains distributeurs britanniques, comme M&S et Aldi, assurent ne plus collaborer avec Kılıç Deniz ni Agromey, sans préciser leur implication passée. De son côté, Kılıç affirme que la farine sénégalaise représente moins de 1 % de son approvisionnement et qu’elle respecte les normes en vigueur.


🇸🇳 Un enjeu de souveraineté nationale

Au-delà du scandale, cette affaire souligne l’urgence d’une gestion durable des ressources marines sénégalaises. Protéger la pêche artisanale, renforcer les mécanismes de régulation industrielle et garantir un accès équitable à l’alimentation deviennent des impératifs majeurs pour préserver la souveraineté nationale et la justice sociale.

Alors que les pressions écologiques, économiques et sociales s’intensifient, la mobilisation conjointe des autorités, des collectivités et des partenaires internationaux s’impose pour restaurer un équilibre vital au secteur halieutique sénégalais.

rts







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