L'année scolaire 2024-2025 a déjà commencé au Sénégal, avec une rentrée des classes effective pour les apprenants le 7 octobre 2024, dans la majorité des établissements du pays. Le personnel (enseignant et administratif) a repris le chemin de l'école quatre jours plus tôt. Cette rentrée scolaire était placée sous le signe de la mobilisation à tous les niveaux pour garantir un démarrage réussi de cette année académique. Le gouvernement a pris d’importantes mesures pour assurer une année scolaire réussie, avec des objectifs clairs pour améliorer la qualité de l'éducation et garantir un environnement favorable aux enseignements/apprentissages.
Cependant, chaque année, la même rengaine revient : “les cours doivent commencer dès le jour de la rentrée”. Une volonté louable du ministère de l’Éducation nationale, mais souvent en décalage avec les réalités du terrain et les besoins psychologiques des enfants. Entre symbole d’autorité et contrainte pédagogique, il est temps de regarder la vérité en face : l’école ne se pilote pas comme une usine. Le vœu politique « Ubbi Tay-Jàng Tay » est-il vraiment salutaire pour nos enfants ? La rentrée ne devrait-elle pas être réinventée non pas comme une course, mais comme un acte éducatif à part entière ?
Accompagner l’Etat dans l’œuvre éducative est un devoir républicain, un acte patriotique pour tout acteur impliqué dans le parcours éducatif défini pour nos enfants. Mais, pour l’Etat, le respect du quantum horaire reste un excellent indicateur de ce parcours, car faisant partie des socles de toute réussite scolaire. Ainsi donc, la volonté étatique de démarrer les enseignements/apprentissages dès la rentrée scolaire, « sans perte de temps » devient légitime, mais elle demeure mal calibrée.
A ce niveau d’appréciation, saluer la rigueur de l’État, c’est reconnaître l’effort de rationaliser le calendrier scolaire et son corollaire, le quantum ; de mettre fin au “mois d’octobre blanc”, et d’imposer une discipline collective. L’intention est juste. Il faut faire de l’école un espace d’efficacité et de sérieux.
Cependant, vouloir démarrer les cours le jour même de la rentrée, sans tenir compte des retards dans les affectations, de l’indisponibilité du matériel pédagogique, du manque de préparation psychologique des enfants restés près de trois mois en jachère, ou de l’impraticabilité de certaines écoles inondées ou servant de site de recasement aux sinistrés de la remontée des eaux, relève plus du vœu pieux que de la politique éducative.
Une directive, aussi volontariste soit-elle, ne peut produire d’effets durables si les conditions de sa mise en œuvre ne sont pas réunies. L’efficacité ne se décrète pas, elle se prépare.
Nous estimons que le premier jour d’école n’est pas un jour comme les autres. Le jour de la rentrée est un moment de transition émotionnelle pour les enfants. Ils quittent le monde des vacances, celui du jeu, du repos, de la liberté, mais aussi des travaux champêtres pour certains, pour replonger dans celui des règles, des cahiers, des horaires fixes, et du respect du règlement intérieur (de l’établissement et de la classe).
Or, croire que cet enfant peut, en quelques heures, passer d’un état de détente à un état d’attention intense, c’est méconnaître les lois les plus élémentaires de la psychologie de l’enfant. En tant qu’enseignant (et nous le savons que très bien), l’apprentissage véritable commence par une mise en confiance, par la réactivation du plaisir d’apprendre en passant par la phase de découverte et d’exploration de son environnement, jamais par une contrainte immédiate.
L’enfant n’est pas une machine à redémarrer. Il a besoin d’un temps d’adaptation affective et sociale, d’un moment d’apprivoisement du nouvel environnement, avant de s’ouvrir pleinement aux contenus cognitifs.
Dès lors laisser ce temps de réappropriation du réel à nos élèves, ce n’est pas du laxisme. C’est simplement de la lucidité. Certains décideurs confondent souplesse et laxisme. À leurs yeux, si les cours ne démarrent pas le jour J, c’est que les enseignants ne sont pas sérieux. Erreur fondamentale. D’abord reconnaissons qu’à l’état actuel des choses, les enseignants ne décident plus du démarrage des cours, ni même l’école d’ailleurs. Nous avons visité des écoles qui ont tardé à débuter parce que la plupart des enfants étaient retenus par les travaux dans les familiaux. D’autres écoles n’arrivent pas à embrayer, car les parents, demandant une prorogation jusqu’à la fin du mois d’octobre, n’ont pas pu réunir à temps les moyens financiers nécessaires à l’envoi de leur progéniture à l’école.
La véritable rigueur n’est pas celle des slogans, mais celle de la préparation et de la cohérence. Elle suppose d’avoir des salles prêtes, des enseignants en poste, des élèves libérés, encadrés et rassurés. Pour une même institution, le démarrage des cours dans le désordre, avec des esprits encore dispersés, constitue une perte de temps immense sous prétexte d’en gagner.
Une rentrée efficace ne se mesure pas au nombre d’heures de cours le premier jour, mais à la qualité du climat scolaire qui s’installe dès la première semaine aussi bien au niveau des élèves que des enseignants.
La voie du « Ubbi Tay, Jàng Tay » demeure périlleuse, mais « un malin génie » pour parler comme Descartes, nous impose à emboucher la même trompette chaque année. Le génie sénégalais quant à lui, réclame une voie plus juste pour ses enfants. Celle-là est juste, une rentrée apprenante et progressive.
Plutôt que d’imposer une reprise immédiate, il serait plus judicieux de concevoir la première semaine comme un temps d’accueil structuré, des moments de retrouvailles et d’acclimatation. Et au-delà de la semaine ou de même de la quinzaine, tout doit être mis en place pour démarrer en mode soft. C’est le début des plages horaires éducatives avec des activités d’expression et de socialisation, présentation des enseignants et des règles de vie, jeux pédagogiques, premiers échanges sur les projets de l’année, etc.
Ce cadre préparatoire n’est pas une perte de temps. Il crée les conditions d’une reprise fluide et motivante. Dès le début de la deuxième semaine, les cours peuvent démarrer avec des élèves plus disponibles, plus confiants, et donc plus réceptifs. Nous estimons que c’est cela, la vraie efficacité éducative : allier rigueur et humanité.
En définitive, nous sommes obligés d’accepter au moins trois choses. D’abord, que notre école n’est pas un chronomètre, mais une aventure humaine, selon les lois qui la régissent. Il est donc urgent de sortir du fétichisme du “UBBI TAY- JANG TAY”. Une école performante n’est pas celle qui commence vite, mais celle qui apprend bien. Ensuite que le temps de l’enfant n’est pas celui du ministre. Le premier jour doit rester un espace d’accueil, de retrouvailles et d’émotion, car la réussite scolaire repose d’abord sur une relation de confiance entre l’élève, l’enseignant et l’institution. Enfin, que l’école n’a pas vocation à produire des heures, mais à former des êtres. Et cela commence par le respect du rythme humain (celui de l’enfant surtout), non par la précipitation.
D’ailleurs, ce qui intéresse les parents et les élèves pourrait se résumer en deux questions. Quels sont les principaux défis et enjeux de cette rentrée scolaire ? Quels efforts sont déployés pour améliorer la qualité de l'éducation et garantir un avenir radieux pour les élèves sénégalais ?
Lamine Aysa FALL
Contributeur au débat sur la modernisation du système éducatif sénégalais
Dakar, 13 octobre 2025