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L'Actualité au Sénégal

Foncier au Sénégal : Que s’est-il vraiment passé ? Pour la mémoire collective, le droit à l’information, la transparence, et pour que cela ne se reproduise plus. Par Habib Vitin


Rédigé le Vendredi 22 Août 2025 à 18:49 | Lu 73 fois Rédigé par



 

 
Le 1er mai 2024, le Président de la République surprenait tout le pays en effectuant une visite inopinée à Mbour 4, à Thiès. Cette visite, largement médiatisée, avait pour objectif déclaré de constater de visu des "attributions irrégulières" de parcelles, faites selon les autorités, au mépris des règles de l’urbanisme, de la planification et des droits collectifs.
Ce déplacement inattendu a agi comme un coup de tonnerre dans le ciel lourd du foncier sénégalais, provoquant une série de décisions gouvernementales aussi spectaculaires qu’inédites.
 
I - La visite présidentielle a provoqué un effet domino de décisions gouvernementales d’une rare intensité dans la gestion du foncier sénégalais
 
Le Président sénégalais Bassirou Diomaye Faye avait pris des mesures drastiques contre les constructions déclarées illégales sur la Corniche ouest du Littoral de Dakar, répondant ainsi aux préoccupations soulevées par le Premier Ministre Ousmane Sonko. Les opérations de construction ont été suspendues depuis le 26 avril 2025 pour réévaluer les conditions d’attribution des terres dans cette zone accusée de scandale foncier depuis 2020.
 
Le gouvernement avait aussi suspendu, pour une durée initiale de trois (03) mois, toutes les opérations immobilières, avant de prolonger cette mesure de 45 jours supplémentaires. L’objectif affiché était de mettre fin aux dérives foncières, aux lotissements irréguliers et aux spéculations qui gangrènent nos terres.
 
Pour rappel, les mesures de suspension concernaient plusieurs localités dans les villes. Parmi les lotissements en question, il y avait : BOA, Hangars des Pèlerins, “EOGEN 1 et 2”, Terme Sud, Recasement 2, Cité Batterie, EGBOS, Diamalaye, zone du littoral du département de Dakar (Corniche-Ouest et Corniche-Est). On a noté les plans d'urbanisme de détails à Guédiawaye et de Malika, les pôles urbains de Bambilor, Dény Birame Ndao et Daga Kholba, la partie de la zone du lac Rose se situant hors du titre foncier de la DGPU, le plan d'aménagement de la Nouvelle Ville de Thiès, le lotissement dit "Mbour 4"; le site de Pointe Sarène à Mbour, hors zone SAPCO, la zone de Ndiébène Gandiole à Saint-Louis.
 
Le peuple avait applaudi. Enfin, une autorité politique s’intéresse aux terres, aux habitants, à la vérité.
 
Mais cette suspension, si elle a été saluée comme un geste fort, a également engendré incertitudes, inquiétudes et paralysie dans de nombreux secteurs, notamment chez les notaires, les promoteurs, les services fiscaux et surtout… les citoyens ordinaires.
 
Annoncé tambour battant, un comité technique chargé de l’audit de plusieurs lotissements concernés par la mesure de suspension devait poser les jalons d’un nouveau départ et proposer au gouvernement plusieurs mesures et recommandations sur les occupations du Domaine Public Maritime (DPM) et sur les lotissements dans les régions d Dakar, Thiès et Saint-Louis.
 
Le Premier ministre avait même, dans la foulée, annoncé l’annulation de plusieurs grands projets d’urbanisation dont notamment :
  • EOGEN 1 et 2
  • Le PUD de Guédiawaye et Yeumbeul
  • La nouvelle ville de Thiès, entre autres.
 
Le 29 janvier 2025, la Direction Générale des Impôts et Domaines (DGID) a tenté d’alléger le climat d’incertitude en émettant une note de service autorisant la levée partielle des procédures domaniales et cadastrales, et une levée totale dans certaines zones du pays.
 
Pour garantir la transparence, un processus de vérification des attributions a été mis en place. La Direction générale de la Surveillance et du Contrôle de l’Occupation des Sols (DSCOS) est chargée de vérifier les attributions pour les titulaires d’une seule parcelle, tandis que la Primature se concentre sur les personnes ayant reçu plusieurs parcelles.
 
Pourtant, après le vacarme médiatique et politique qui a suivi la visite présidentielle, c’est un silence lourd qui s’est installé. Les mainlevées, ces actes administratifs qui permettent de poursuivre des projets ou de libérer des terrains se font discrètement, sans annonce publique, ni justification claire. Un contraste saisissant : beaucoup de bruit pour dénoncer, mais presque aucun écho lorsqu’il s’agit d’expliquer. Et ce mutisme institutionnel n’est pas anodin. Il entretient la méfiance, nourrit les soupçons et fragilise la promesse même de transparence.
 
 
II - Aujourd’hui, le peuple sénégalais a le droit de savoir ce qui s’est réellement passé sur le foncier
 
Jusqu’ici, aucune communication publique structurée n’a été faite sur la composition, la feuille de route, le calendrier ou les résultats du comité technique chargé de l’audit.
 
En vérité, ce qui devait être un instrument de transparence semble pour l’instant être devenu un outil de plus pour brouiller les pistes.
 
Aucune communication officielle, aucun compte rendu public. Pourtant, l’affaire touche directement au patrimoine foncier, à la dignité des populations, à l’honneur des acteurs du régime sortant, et au crédit de la République.
 
Pendant ce temps, les citoyens attendent, et les spéculations continuent. Pourquoi ce silence ? Quelles terres sont auditées ? Quels moyens sont mobilisés ? Et surtout : à qui profite ce flou ?
 
 
Il ne s’agit pas d’alimenter la polémique, ni de freiner des réformes nécessaires, mais d’affirmer le droit à l’information, à la mémoire collective, et à la sincérité dans la gestion du patrimoine foncier.
 
Y avait-il réellement besoin de toute cette mise en scène médiatique, de ces dénonciations tonitruantes, pour finalement en arriver à des solutions administratives classiques, sans information transparente des citoyens ? Si des irrégularités graves ont été constatées, pourquoi n’y a-t-il pas eu poursuites judiciaires ? S’il n’y en avait pas, pourquoi a-t-on laissé croire au scandale généralisé ?
 
La mémoire collective mérite des clarifications nettes :
  • Qui a pris quoi ?
  • Au nom de quoi ?
  • Qu’a décidé l’État ?
  • Et pourquoi les citoyens directement concernés ne sont-ils pas publiquement informés ?
 
Ces décisions, aussi symboliques que fracassantes, ont des implications lourdes pour des milliers de citoyens qui avaient acquis ou investi dans ces projets. Or, aucun mécanisme de recours, de compensation, ou même de concertation avec les populations concernées n’a été présenté.
 
Que dire des familles qui avaient déjà payé ? Des jeunes qui espéraient y construire leur premier logement ? Des investisseurs piégés ? Qui dédommage ? Qui assume ?
 
 
 
Nous demandons donc :
 
1 - La publication d’un rapport clair et public sur les motivations de la suspension et les résultats obtenus ;
2 - La présentation publique des travaux du comité technique chargé de l’audit, avec la liste des terres concernées, les titres contestés, les acteurs mis en cause ;
3 - Un plan d’indemnisation ou de régularisation pour les citoyens impactés par toutes ces décisions ;
4 - Une cartographie officielle des zones où les procédures foncières sont à nouveau autorisées ;
5 La tenue d’un Forum national sur le foncier, associant toutes les parties prenantes : autorités nationales et locales, société civile, experts, usagers.
 
III – Le spectre des pratiques du passé plane à nouveau sur notre patrimoine foncier
 
L’annonce précipitée de la cession d’une partie des terrains anciennement occupés par l’armée française, espaces symboliques et stratégiques, soulève de vives inquiétudes.
 
Ce qui aurait pu être une opportunité nationale de reconversion stratégique et inclusive est en train de prendre les allures d’un remake peu glorieux de décisions du passé, dont les conséquences continuent de peser lourdement sur notre mémoire collective et notre espace public.
 
Comment ne pas faire le parallèle avec ce qui s’est passé autour de l’aéroport Léopold Sédar Senghor ou encore du site du CICES ? Des lieux jadis emblématiques, progressivement dénaturés, fragmentés, cédés dans la précipitation au nom du développement, mais sans vision d’ensemble, sans transparence, et surtout sans consultation des populations.
 
À l’époque déjà, des alertes avaient été lancées. Mais les logiques spéculatives, les intérêts privés et les promesses opaques ont eu raison de l’intérêt général. Aujourd’hui, le risque est grand de retomber dans les mêmes pratiques, avec les mêmes motivations court-termistes, et très probablement… avec les mêmes résultats désastreux.
 
Or, il faut se rappeler que c’est précisément ce type de dérives qui a motivé la suspension des opérations foncières par le gouvernement ces derniers mois, en invoquant notamment le caractère stratégique ou militaire de certaines zones. Ces suspensions n’étaient pas à mon avis, des caprices politiques. Elles répondaient à une exigence de clarté, de redevabilité et de sauvegarde des ressources foncières collectives. Allons-nous déjà les oublier ?
 
Nous devons tirer toutes les leçons du passé. Le foncier n’est pas une marchandise banale. Il est un outil de souveraineté, de planification urbaine, de justice sociale et de mémoire historique. Ce qui est en jeu ici, ce n’est pas juste un terrain, c’est notre capacité à imaginer ensemble un avenir collectif, durable, équitable.
 
Cette crise doit être l'occasion d’une réforme courageuse, citoyenne et participative. Elle ne doit pas finir comme tant d'autres, dans les tiroirs de l’oubli ou sous le vernis des communiqués. Cette crise peut et doit être une opportunité historique de remettre à plat notre gouvernance foncière, dans la transparence, la justice et l’équité.
 
Mais à condition d’une seule chose : dire la vérité au peuple.



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