Une opération attendue mais anticipée
Selon des sources proches du dossier, nombre d’occupants avaient déjà pris la fuite avant même l’arrivée des forces de l’ordre. Informés à l’avance de l’imminence de l’opération, beaucoup avaient démonté leurs installations, preuve que l’ancrage de ces habitats précaires n’était pas improvisé mais organisé. Cette anticipation interroge : fuite de renseignements, solidarité entre occupants, ou simple rumeur qui court vite dans un quartier où tout le monde se connaît ?
Un problème ancien, longtemps toléré
Colobane n’est pas un cas isolé. Depuis des décennies, Dakar connaît une multiplication des occupations anarchiques, notamment dans les zones à forte activité commerciale. Les carrefours stratégiques, les abords des marchés et les trottoirs sont régulièrement investis par des vendeurs ambulants, des familles sans ressources ou encore des réseaux de mendicité organisés. L’État a souvent laissé faire, tolérant par pragmatisme des situations qui finissent par s’enraciner. Mais avec la croissance urbaine, la pression démographique et les enjeux de mobilité, cette tolérance atteint aujourd’hui ses limites.
Le message du gouvernement
Face aux accusations de stigmatisation qui ont émergé après l’opération, le ministère de l’Intérieur a rapidement réagi. « Il ne s’agit pas de viser une communauté particulière », a insisté le ministre Bamba Cissé. Si certains déguerpis sont étrangers, beaucoup sont bel et bien Sénégalais. L’objectif affiché est clair : restaurer l’ordre, protéger l’espace public et mettre fin à une anarchie qui nourrit insalubrité et insécurité.
« L’État ne peut plus accepter que la voie publique devienne une zone d’habitat, de mendicité et de désordre », a martelé le ministre.
Des enjeux sociaux explosifs
Derrière le discours officiel se cache une réalité plus complexe. Les familles qui occupent ces espaces ne le font pas par choix mais par nécessité. Chômage massif, pauvreté endémique, absence de logements sociaux adaptés : autant de facteurs qui poussent des centaines de personnes à se réfugier dans des abris précaires, au risque d’être régulièrement chassées.
Les ONG de défense des droits humains rappellent que les opérations de déguerpissement, si elles ne s’accompagnent pas de solutions d’accueil et de réinsertion, ne font que déplacer le problème d’un quartier à un autre. « Aujourd’hui Colobane, demain Sandaga, après-demain Grand-Yoff », commente un sociologue urbain.
Les habitants entre soulagement et inquiétude
Pour de nombreux riverains et commerçants installés légalement, l’opération est vécue comme une délivrance. « On ne pouvait plus circuler, l’insalubrité attirait les moustiques, c’était devenu invivable », témoigne un commerçant du marché de Colobane.
Mais d’autres s’inquiètent des conséquences humaines. Où iront ces familles ? Comment survivront-elles sans ces espaces qui leur servaient de refuge ? Le risque est grand de voir le phénomène ressurgir ailleurs, dans des conditions encore plus précaires.
Un éternel recommencement ?
Dakar a connu, ces vingt dernières années, une succession de coups de balai similaires : au marché Sandaga, à la gare routière de Petersen, sur les artères de Liberté 6 ou encore à la Médina. Chaque fois, la même question revient : faut-il simplement déguerpir ou faut-il penser un véritable plan d’inclusion sociale et urbaine ?
Sans alternatives durables — logements sociaux accessibles, centres d’accueil, programmes de réinsertion — les opérations coups de poing risquent de n’être que des solutions temporaires, incapables de traiter les causes profondes du phénomène.