Au cœur du quartier Keur Massamba Guèye II, situé à la périphérie de la ville de Thiès mais rattaché à la commune de Fandène, une vaste décharge sauvage de six hectares s’étend entre les habitations, déversant quotidiennement son lot de fumées toxiques et d’odeurs insoutenables. Cette déchetterie à ciel ouvert, qui semble avoir atteint son point de saturation, est pourtant encore alimentée par les charretiers de la ville, malgré les risques sanitaires et environnementaux évidents.
Dès l’aube, une foule bigarrée de récupérateurs – hommes, femmes, enfants – partage ce site insalubre avec des animaux errants, des corbeaux et des hérons. Chaque jour, ils fouillent à mains nues les montagnes d’immondices en quête de matériaux recyclables, sans aucune protection.
Hadja Aminata Ndiaye, une habitante âgée, raconte avec amertume les douze années passées à vivre littéralement sur le bord de cette mer de déchets. Sa maison, comme des centaines d’autres, est encerclée par les ordures. L’odeur suffocante, la fumée constante et les incendies provoqués par les recycleurs rendent l’air irrespirable.
« On étouffe à petit feu », déplore-t-elle, le regard las. Une voisine, Aïssata Aw, ajoute : « Même enceinte, j’ai dû fuir pour préserver ma santé. Tout est couvert de suie. » Les feux de pneus, la combustion de plastiques et de carcasses d’animaux libèrent des gaz nocifs qui se répandent dans l’air, parfois sur des kilomètres.
À seulement dix mètres de la décharge, Awa Ly vit elle aussi avec sa famille sous cette menace permanente. Depuis 2012, elle a dû s’adapter à cette pollution chronique : « On porte des masques dans les chambres. Le vent amène les braises jusque dans nos cours. »
La situation n’épargne pas les plus jeunes. L’école primaire de Keur Massamba Guèye II, qui accueille 482 élèves, est régulièrement envahie par les fumées. Mamadou Fall, directeur de l’établissement, dénonce une cohabitation intenable : évacuations fréquentes d’enfants malades, suspension des cours, salles de classe irrespirables. Les tout-petits, notamment, souffrent en silence.
Sur la décharge, l’activité ne faiblit pas. Fanta Diawara, récupératrice depuis plus de deux décennies, surnomme ce lieu « le Mbeubeuss de Thiès ». Elle trie les déchets, les emballe dans de vieux filets de moustiquaire, et revend chaque sac au kilo. Les prix sont dérisoires : 50 francs CFA pour un kilo de sachets plastiques, 100 francs pour les fragments de plastique dur. Un travail épuisant pour un revenu misérable.
Pendant ce temps, les charrettes continuent d’affluer. Les jeunes, sans masque ni gant, plongent dans les tas d’ordures fraîches. Pour eux, c’est une question de survie. « Le soir, je bois du lait, et ça passe », lance Ibrahima Diop, occupé à extraire le fer des pneus brûlés, dans une ambiance saturée de suie.
Malgré l’hostilité de l’environnement, de nouvelles habitations apparaissent autour du site. Des familles s’installent à côté de la décharge, parfois dans des maisons inachevées, souvent parce qu’elles y trouvent une opportunité économique, aussi fragile soit-elle.
La Société nationale de gestion intégrée des déchets (SONAGED) assure que les bennes à ordures ne livrent plus de déchets sur ce site depuis 2022, redirigées vers un espace provisoire à Pout, en attendant la finalisation du Centre intégré de valorisation des déchets (CIVD) à Tivaouane. Cependant, ce sont désormais les charretiers qui perpétuent l’existence de la décharge.
La députée Amy Ndiaye, en visite sur les lieux, a reconnu la gravité de la situation. Bien que la décharge soit fermée officiellement, elle appelle à des mesures concrètes pour stopper définitivement les dépôts sauvages. L’édification d’un mur périphérique a été évoquée comme solution d’urgence.
Mais en attendant, la population continue de subir. Suffocation, maladies respiratoires, visibilité réduite sur la route voisine, dangers d’incendie : Keur Massamba Guèye II est le théâtre d’une crise environnementale ignorée trop longtemps.